Celle qui pleurait sous l’eau Niko Tackian

Par Dominique de Poucques - 14 février 2020

Le corps sans vie d’une jeune femme est découvert à la surface d’une piscine municipale. La thèse du suicide est très vite retenue et l’affaire classée. Pourtant, une inspectrice pressent qu’il y a quelque chose à découvrir derrière cette évidence apparente.

Dans ce troisième volet de la série présentant Tomar Khan, inspecteur parisien installé au célèbre « 36 », Niko Tackian aborde le thème des violences faites aux femmes. Le roman s’inscrit dans l’actualité pour dénoncer l’injustice et les limites de l’appareil judiciaire face aux sévices physiques et psychologiques infligés aux femmes. Pour autant, il est moins sombre que les deux précédents, l’auteur ayant choisi de décrire un enquêteur plus en paix avec son passé, ramené vers la lumière par sa co-équipière. Elle est l’un des personnages féminins remarquables de cette aventure.

ENTRETIEN

Vous rendez un très bel hommage aux femmes à travers ce livre. Vos personnages féminins ont des personnalités fortes, ce sont des battantes, elles sont résilientes, elles se serrent les coudes et prennent leur place dans un monde d’hommes.

Merci, ça me touche que vous l’ayez pris comme ça. Le désir de les présenter de cette façon est d’abord né d’un sentiment de révolte, en voyant la couverture des « Inrockuptibles » qui montrait une photo de Bertrand Cantat. Ça m’a choqué. Un peu après, le mouvement #MeToo est apparu. Il a pris une telle ampleur que j’ai décidé que mon prochain sujet serait les violences faites aux femmes. Il y a une injustice assez puissante que j’ai eu envie de dénoncer. En même temps j’avais conscience de marcher sur des œufs : d’abord, je suis un homme ; ensuite j’arrive avec un sujet déjà ultra présent ; en plus mon enquêteur est très masculin, dans un environnement qui l’est tout autant. Alors je me suis documenté au maximum, pour être certain que mon propos soit juste. J’avais besoin d’un cadre au niveau pénal, parce que je voulais traiter le sujet de l’intérieur, plutôt que du point de vue de la société.

Vous abordez des phénomènes de société, comme la violence conjugale et familiale ; vous faites référence à l’actualité, avec les attentats de Paris ; vous évoquez des questions géopolitiques, comme la question kurde. Est-ce nécessaire d’un point de vue littéraire, pour ancrer le roman, lui donner une crédibilité, ou est-ce que le polar se doit aujourd’hui d’être social ?

Un polar s’inscrit dans la réalité. C’est un genre du réel. Simplement parce que le travail policier s’inscrit dans l’actualité. Chaque épisode de Tomar Khan se passe dans un laps de temps défini, ce qui m’amène à regarder tous les journaux télévisés de cette période. La question kurde est présente dans la série depuis le premier tome. C’est en rapport avec mes origines (ndlr : son grand-père a fui le génocide arménien). Les Kurdes sont aujourd’hui un peuple miroir de Arméniens : ils sont génocidés par les Turcs. La problématique kurde étant plus actuelle, c’est celle que j’ai choisi d’utiliser.

Vous le disiez tout à l’heure, vos personnages évoluent dans un milieu considéré comme viril, voire macho. Pourtant votre enquêteur, s’il a tout du flic musclé, a une réelle sensibilité. C’est une envie de casser les codes, de démonter les clichés du genre ? Est-ce qu’il vous ressemble ?

Il a une sensibilité que l’on comprend à travers son histoire. Il me ressemble, oui, sûrement. Quand on crée un personnage récurrent, on lui donne des traits de caractère forts, faciles à retrouver, et surtout, qu’on aura envie de retrouver. Si je n’étais pas proche de Tomar Khan, j’aurais du mal à me replonger dans le personnage tous les deux ans. Je le connais très bien ; il est fait de choses qui me sont proches, et de choses transposées. Il a l’apparence d’un homme fort, mais il a d’énormes failles. Comme son épilepsie, par exemple, qui lui a été transmise par son père, et qu’il voit comme une malédiction.

Votre roman ne se lit pas seulement. On le voit, on le regarde. L’écriture est très imagée. Paris en devient pratiquement un de vos personnages. C’est une volonté ou une déformation professionnelle liée à votre passé de scénariste et de réalisateur ?

C’est vraiment une volonté. Je raisonne en images. J’ai une culture visuelle beaucoup plus forte que ma culture littéraire, ce qui provient sans doute de ma passion pour la BD et le cinéma. Mais aussi de voyages, de visages rencontrés. Je suis très vite ému par des images. Avant d’écrire une scène, je commence par la voir. Tout le travail est d’exprimer par des mots ce que je vois. La différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un livre, c’est la liberté totale avec laquelle on écrit un roman. On ne demande rien à personne.

Tomar Khan et ses collègues sont devenus des personnages récurrents, vous envisagez de les transposer dans une série télé ?

Je l’envisage, mais la télévision n’est pas friande d’adaptation de personnages de littérature récurrents. Il n’existe aucun exemple. Il y a un problème de droits, qu’ils n’ont pas envie de payer pour une série. Les producteurs ne veulent pas s’engager pour du long terme. Il y a peu de respect pour les auteurs de fiction dans le monde audio-visuel français. Par contre, les plateformes constituent une nouvelle voie. Un de mes romans est en phase d’adaptation pour l’une d’elles. Ce sera un court métrage, tourné en anglais, pour les Etats-Unis.

Est-ce que vous pensez que le polar souffre aujourd’hui d’un manque de reconnaissance ? Il existe de nombreux prix et récompenses attribués aux polars, mais toujours au sein de la catégorie du roman policier. Ça vous irrite ?

Ça nous fait sourire. Le polar est un genre populaire. On vend des livres, ça marche très bien. Il y a des salons du polar organisés tous les weekends. Mais en France, il y a un snobisme de certains libraires, de la presse, de certains auteurs aussi. Il y a un décalage un peu ridicule entre le succès et la reconnaissance. Dans les pays anglo-saxons, c’est beaucoup mieux considéré.

On se retrouve dans deux ans pour une nouvelle aventure de Tomar Khan ?

Oui, il revient tous les deux ans. J’ai besoin d’espacer les tomes, pour pouvoir écrire autre chose, me lancer dans d’autres histoires, sans passé, avec une vraie liberté, dans un univers que je choisis. J’aime construire des personnages pour une série, mais c’est contraignant d’un point de vue créatif. Et puis les enquêtes de Tomar Khan sont nées d’indignations. Heureusement, je ne suis pas si souvent indigné…

Parution le 2 janvier 2020
250 pages

Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Calmann Lévy

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