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LireLes Terres Promises Jean-Michel Guenassia
Par Dominique de Poucques - 29 juin 2021
Douze ans après le succès du roman « Le Club des Incorrigibles Optimistes », Jean-Michel Guenassia enchante ses lecteurs en reprenant l’histoire là où il l’avait laissée. Michel, Camille, Igor et les anciens membres du Club, aujourd’hui dispersés, poursuivent leur quête, révolutionnaires à leur façon, observateurs d’une nouvelle société de consommation opposée aux valeurs qu’ils souhaiteraient voir porter leurs ambitions personnelles. Le parcours de chacun permet à l’auteur de replacer des pans entiers de l’Histoire, de 1962 jusqu’à 2008. De la décolonisation de l’Algérie à l’exil vers Israël en passant par la métamorphose de l’URSS au moment de la chute du communisme, Jean-Michel Guenassia retrace les grands espoirs et utopies du 20ème siècle. Parallèlement, les personnages, tous remarquablement entiers et sincères, semblent subir leur propre déclin. « J’ai l’impression que nous étions comme ces enfants qui essayent de faire entrer des ronds dans des carrés. Dans la vraie vie, c’est impossible. » Tous se raccrochent à leur Terre promise, à l’utopie d’un monde meilleur, pour l’Humanité ou à défaut, pour eux-mêmes. Le romancier révèle que « Le plus important dans la Terre promise, ce n’est pas la terre, c’est la promesse. »
Le livre est dense, l’écriture sans faille. Les thèmes sont vastes, laissant deviner les passions de l’auteur qui démontre sa grande connaissance de l’Histoire, s’attardant sur des étapes clés et pourtant méconnues, sans jamais faire preuve du moindre manichéisme. Bien qu’étant techniquement un second tome, le roman peut se lire de manière parfaitement autonome.
ENTRETIEN
- Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de poursuivre cette histoire ? Les personnages sont-ils restés avec vous tout ce temps, ou vous ont-ils soudainement manqué ?
Quand j’écrivais le Club, je savais que c’était une première partie, que la seconde s’appellerait « Les Terres promises », j’avais déjà en tête l’histoire d’Igor en Israël, l’histoire de Michel, Cécile et Anne. Celle de Louise, aussi. Il me manquait celle de Frank. J’étais bloqué, cela ne fonctionnait pas. J’ai laissé tomber et j’ai commencé à écrire « La vie d’Ernesto G. » J’y revenais souvent, mais sans grand succès. Je suis passé à d’autres romans et un jour, en voyage à Moscou, l’évidence m’a frappé en voyant une procession religieuse qui rassemblait 700.000 personnes. La ville était totalement bloquée par des centaines de cars venant de toute la Russie, la Moskova noire de monde sur des kilomètres, tous ces gens faisant la file pour entrer dans la cathédrale du Christ Sauveur et admirer les reliques de Saint Nicolas, visibles seulement tous les 4 ans. Partout où je me rendais, je trouvais les églises pleines, et je ressentais un élan incroyable. Il n’y a pas de chaises dans les églises russes, les croyants restent debout pendant des heures pour écouter une messe. C’est une ferveur que l’on ne connaît pas chez nous, et ce n’étaient pas que des personnes âgées qui avaient connu le communisme, beaucoup avaient trente ou quarante ans, et presque autant d’hommes que de femmes. J’ai pensé que ce serait le sujet du roman : comment un pays qui a vécu pendant 70 ans l’oppression communiste, qui fustigeait la religion, qui a vu les églises tomber en ruine, a finalement restauré les bâtiments de façon magnifique et est devenu très religieux. La Foi est donc le sujet du roman, parce qu’elle vit une résurgence remarquable.
- A quoi pensez-vous que ce soit dû ?
Après l’écroulement des illusions utopistes, on n’a pas d’autre solution. Peu des grandes utopies du 20ème siècle ont abouti : le sionisme a abouti à une impasse totale, le communisme n’a pas fonctionné, il reste peu de choses auxquelles se raccrocher.
- Vous écrivez d’ailleurs : « Dieu est le nom que nous donnons à notre propre douleur.» Ce qui reste de nos utopies, c’est parfois simplement la quête de notre propre bonheur. C’est le cas de vos personnages.
Oui, en réalité, comme je l’écris au début du roman, c’est l’histoire de filles qui ressemblent à leur mère, et de garçons qui ressemblent à leur père. Ce sont des gens qui passent leur existence à chercher leurs enfants, à vouloir fonder une famille. Ces sont des histoires de filiation, de paternité et de maternité, ce qui nous concerne tous. Et les personnages sont confrontés aux aléas de l’Histoire.
- Vous n’écrivez pas un roman historique, mais il est rempli de grandes pages de l’Histoire.
Parce que ça ancre le lecteur dans le récit. J’essaie toujours d’avoir des axes originaux, qui n’ont pas été abordés.
- Vous faites dire à un de vos personnages : « On existe parce qu’on se souvient. » C’est la raison de ce livre ?
Oui, la mémoire est importante. On a tendance à oublier. Plus personne ne pense à la décolonisation. Il n’existe aucune littérature sur le sujet. On a beaucoup écrit sur la guerre d’Algérie, mais rien sur l’après. Alger en juillet 62, c’est une espérance folle. C’est une Terre promise. On croit bâtir un monde sans impérialisme, sans exploitation, et participer à un monde meilleur. La vie a rattrapé et douché tous ces espoirs. Je voulais rappeler cette histoire, comme celle des Harkis, qui ont été massacrés parce que considérés comme des collabos. On a oublié beaucoup de cette période, et on a tendance à réécrire l’Histoire, avec le temps.
- Vous êtes né en Algérie, mais quel lien avez-vous avec la Russie ?
J’adore ce pays depuis ma première visite à Saint Pétersbourg, qui est magnifique. On n’en fait jamais le tour. J’aime la littérature russe, sa poésie et je suis attiré par la tragédie russe : toutes ces vies broyées par une idéologie, ces êtres humains qui ont vécu les plus grandes injustices. Ça rajoute pour moi une couche émotionnelle importante. Et c’est du pain béni pour un écrivain. On a une matière humaine à partager, à laquelle chacun est sensible.
- Chacun de nous a quelque part une Terre Promise ?
Je l’espère. J’espère que notre Terre promise n’est pas seulement notre carnet de Caisse d’Epargne, ou notre retraite. Ce serait bien que chacun aspire à quelque chose « bigger than life », qui le dépasserait. Retrouver le vivre ensemble, ne pas se laisser manipuler par les extrémismes, ça pourrait être notre Terre promise.
- Si vous transposiez ce roman à notre époque, qu’est-ce que cela donnerait ?
Il s’arrête en 2008. Les choses ne sont pas tellement différentes aujourd’hui. Nos démocraties sont très fortes, en réalité, même s’il y a un désintérêt total pour la politique. On n’a pas d’ennemis proches, de menace directe. C’est notre capacité à vivre ensemble qui est ébranlée. Des hommes et des femmes meurent de faim, tentent de venir chez nous et on rechigne à les aider. Le vrai défi aujourd’hui c’est la migration, qui va s’aggraver à cause des enjeux écologiques que l’on ne parvient pas à adresser.
- Parvenez-vous à être, vous aussi, un incorrigible optimiste ?
Non, je pense que c’est foutu. On a tout raté. Au niveau de l’écologie, dès qu’une décision est prise qui risque de modifier un peu notre mode de vie, on se révolte. Les gens ne sont pas prêts à changer leur comportement. Pour la barrière de corail, c’est trop tard, le Gulfstream va disparaître, on n’échappera pas à la sixième extinction. Je ne la verrai plus, mais je pense que mes petits-enfants vont avoir de gros problèmes. Même le confinement n’a pas provoqué de modifications durables de nos comportements. On est coincés.
- Il me semble que les femmes sont aux commandes dans votre roman, même si ça n’apparaît pas au premier abord. Louise, Cécile, Camille, sont des femmes fortes qui prennent leurs propres décisions, ce qui pour l’époque n’était pas si courant.
C’est une volonté. J’ai besoin de personnages moteurs, actifs. Pour moi le personnage principal du roman est Cécile. C’est elle qui le détermine. Sans sa dépression et le rejet de sa fille, il n’y a pas d’histoire. Louise refuse de supporter le joug de quiconque. Elle est libre, elle n’est pas formatée. J’aime ces femmes fortes qui ne se laissent pas manipuler mais ne sont pas non plus dans la confrontation, la revendication. Anna est très importante aussi : j’ai écrit toute l’histoire pour arriver au moment de la rencontre entre Franck et Anna.
- Cela signifie qu’au moment de l’écriture, vous aviez déjà toute la trame en tête ?
Une grande partie, et certainement cette rencontre. Je savais que cela se passerait dans l’église, puisque je connaissais l’itinéraire que Franck emprunterait. D’autre choses sont arrivées en chemin pour tresser une biographie fictive.
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