Grand, très grand roman que celui de Julian Barnes où l'auteur explore avec brio la question: vaut-il mieux avoir aimé et perdre ou ne jamais avoir aimé? Un régal!
LireLe vieux qui lisait des romans d’amour Luis Sepúlveda
Par Dominique de Poucques - 20 mai 2020
Le nom de Luis Sepúlveda fait partie de la liste des artistes victimes du Covid-19. Il s’est éteint le 16 avril dernier à l’âge de 70 ans. Tour à tour écrivain, poète, scénariste, réalisateur, journaliste et militant écologiste, il a œuvré toute sa vie à « mettre en relief la dignité humaine ». Né au Chili, il découvre la littérature à 8 ans quand son grand-père lui fait la lecture de Don Quichotte. Il dira plus tard qu’il a commencé à écrire lui-même car il n’avait plus rien à lire : il avait épuisé Salgari, Jules Verne et Stevenson. Sepúlveda s’engage très tôt en politique, et fait partie de la garde rapprochée du Président Allende lors du coup d’état de 1973 qui place Pinochet au pouvoir. Il passe alors du côté de la résistance et est rapidement arrêté et condamné à 28 ans de prison. Amnesty International le fait libérer après trois années d’emprisonnement en échange d’un exil de 8 ans. C’est au cours de cet éloignement forcé qu’il voyage en Equateur et rencontre le peuple Shuar. Il vivra un an parmi eux au sein de la forêt amazonienne. Dix ans plus tard, alors installé en Croatie, il écrit « Le vieux qui lisait des romans d’amour », récit largement autobiographique qui emmène le lecteur auprès de cette communauté d’Amérindiens réducteurs de têtes.
Il raconte à travers le personnage du « Vieux », Antonio José Bolivar (!), comment il a été accepté dans cette tribu, comment son ami Nushiño lui a appris à pêcher, chasser et survivre dans la forêt tropicale : « Sa connaissance de la forêt valait celle d’un Shuar. Il nageait aussi bien qu’un Shuar. Il savait suivre une piste comme un Shuar. Il était comme un Shuar, mais il n’était pas un Shuar. C’est pourquoi il devait s’absenter régulièrement : ils lui avaient expliqué qu’il était bon qu’il ne soit pas vraiment l’un des leurs. Ils aimaient le voir, ils aimaient sa compagnie, mais ils voulaient aussi sentir son absence, la tristesse de ne pouvoir lui parler, et les battements joyeux de leur coeur quand ils le voyaient revenir. » Sepúlveda disait que son Bolivar lui ressemblait à plus d’un égard ; l’un et l’autre ont été bannis de deux mondes : Le Chili et la Révolution pour l’écrivain, son village natal et la tribu des Shuars pour Bolivar. Ce récit démontre avec simplicité l’évidente absurdité du colonialisme et met en scène un vieil homme amoureux de la nature, ayant appris à lire et n’ayant que peu de besoins : la liberté et quelques romans. Il dépeint l’autorité méprisante et stupide d’un fonctionnaire transpirant qui considère les natifs comme des sauvages, incapable de s’adapter à un pays qu’il prétend diriger et qui lui reste étranger. Il nous fait suivre les traces de ce peuple primitif vivant en symbiose avec la nature, aux traditions ancestrales, balayées par l’ignorance et la cupidité des conquistadors. Il écrit sans fioritures, en conteur, et ses paroles font mouche. L’œuvre tout entière de Luis Sepúlveda est empreinte de son histoire. Beaucoup de ses personnages partagent avec lui des traits, un passé ou une réflexion. Il disait que la fiction lui permettait de mieux comprendre la réalité, et que la littérature pouvait être un acte de mémoire, mais aussi de justice.
Ce virus qui nous menace aujourd’hui nous a enlevé un grand homme, écologiste convaincu, amoureux de la mer et de la Patagonie, voyageur invétéré qui revenait toujours vers « son Sud ». Il nous a privé d’un écrivain important, épris de liberté.
Retrouvez ce roman sur le site des Éditions Métailié
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