La jeune Coumba vient de perdre son mari Bouba dans un naufrage au large de Dakar. La nuit, elle parle aux âmes des victimes de l’accident. Celles-ci s’adressent à elle...
LireLes jours brûlants Laurence Peyrin
Par Dominique de Poucques - 1er septembre 2020
Laurence Peyrin écrit cette fois un roman américain. Pas seulement parce qu’elle situe son héroïne en Californie. Page après page, tout dans ce roman respire l’Amérique : les innombrables références à la vie américaine – lieux, prénoms, enseignes commerciales, cocktails, ambiances – mais aussi l’écriture même. La romancière parvient à trouver un style, un rythme, une consonance qui nous font penser que l’on est en train de lire en anglais.
Jeanne est une femme au foyer, mère de deux adolescents, mariée à un médecin dont elle est toujours amoureuse. Elle trouve un réel épanouissement dans le quotidien, se réjouissant de bonheurs simples. Elle aime passer ses samedis soir à la maison, entourée de ses amis, et de son mari qui la regarde fièrement préparer des cocktails devant l’assemblée amusée. Un jour tout bascule. Son univers s’effondre suite à ce qu’elle appellera « l’incident ». Elle peine alors à retrouver son équilibre. Elle développe des comportements compulsifs, lui permettant de construire une barrière contre ses propres émotions. Elle cherche à se détacher de tout, et surtout d’elle-même. Désœuvrée, incapable de se redresser, elle tente de retrouver une certaine innocence en s’anesthésiant, pour s’abolir elle-même. Une chose en entraînant une autre, de mensonge en mystification, un jour elle disparaît.
Il y a du drame dans ce livre, mais étrangement, ce qui en reste, c’est avant tout un souvenir joyeux, sans doute grâce à des personnages à la personnalité fantasque et chaleureuse, qu’on aurait bien envie de côtoyer. La lecture terminée, on éprouve un élan de sympathie envers toutes les femmes, on a le sentiment de faire partie de quelque chose de grand : on perçoit avec force notre part d’humanité.
ENTRETIEN
En jetant un œil aux titres de vos précédents romans, on comprend vite que votre sujet de prédilection, ce sont les femmes. Vous déclarez-vous féministe ?
Alors, non, surtout pas. Ce n’est en fait pas une démarche consciente. Ce n’est en aucun cas une démarche militante. Ça m’est naturel. Je trouve que les femmes ont tellement de facettes intéressantes. Et comme j’en suis une, je parle de ce que je peux ressentir. J’aime les femmes, la manière qu’elles ont d’être différentes les unes des autres, mais de vivre des expériences similaires, qui les rendent complices. La vie des femmes est jalonnée d’étapes, de remises en question, ce qui est moins le cas pour les hommes. Depuis l’adolescence, il nous arrive des tas de choses auxquelles il nous faut nous adapter, entre autres la maternité.
Vous parlez d’ailleurs de la peur qui ne quitte plus une femme une fois qu’elle a mis au monde un enfant.
Oui, la maternité nous pousse à faire le deuil de l’insouciance. C’est assez paradoxal : on s’engage avec une gaieté formidable dans un événement qui nous condamne à avoir peur toute notre vie.
Ce livre est un roman américain. Vous ne vous contentez pas de le situer aux États-Unis. C’est difficile à décrire, mais il y a une réelle ambiance, un style, que l’on retrouve généralement chez les romanciers américains. Après seulement quelques pages, on a le sentiment de lire en anglais. Est-ce un travail de votre part, ou le fruit de vos influences ?
On m’a déjà fait cette remarque. Mais je n’y travaille pas, ça m’est naturel. Il faut dire que je passe le plus de temps possible aux États-Unis, je compte bien un jour m’y installer. Je considère la culture anglo-saxonne comme la mienne. C’est sans doute aussi l’influence de ce que je lis, de ce que je regarde à la télé. Je le fais en anglais autant que possible.
Votre héroïne est une femme au foyer, complètement épanouie, qui profite de bonheurs simples. Est-ce que ça existe encore aujourd’hui, ou est-ce la raison pour laquelle vous avez dû la faire évoluer dans les années 70 ?
J’ai en effet dû la situer à cette époque parce qu’on trouve beaucoup moins de femmes au foyer aujourd’hui. Et le fait que la violence intervienne dans cette vie parfaitement réglée, bien rangée, la rend d’autant plus marquante. Joanne est dans un cocon. Si elle travaillait, si elle était plus souvent confrontée à l’extérieur, elle serait mieux armée pour se remettre de ce qui lui arrive. Ici, elle est préservée. Le fait que ça se déroule dans les années 70 sert aussi à expliquer sa manière de gérer la dépression. De nos jours, elle serait aidée, prise en charge rapidement. Aujourd’hui c’est assez commun de demander de l’aide, ça ne l’était pas à l’époque. On ne comprenait pas le problème mécanique de la dépression, on acceptait mal que les gens n’aillent pas bien. Par contre, l’histoire ne pouvait pas se passer plus tôt, parce que l’héroïne devait être une femme au foyer mais libre de ces choix. Ce n’était pas le cas avant les années 70.
D’où vous est venue l’idée du thème de ce livre ?
J’écris un livre avant tout en réponse à une question que je me pose. C’est d’abord égoïste, il faut que j’apprenne quelque chose. Je me suis par exemple penchée sur les origines du féminisme, puis sur la post-ségrégation raciale aux États Unis, parce que j’avais besoin d’en savoir plus. Ici j’ai essayé de comprendre ce phénomène des disparitions volontaires. Quand on va aussi mal que Joanne dans le roman, on a deux solutions : soit le suicide physique, soit le suicide social. Aux États-Unis, c’est très facile de disparaître. On peut changer de nom en un clin d’œil.
Vous avez fait des recherches sur le sujet ?
J’en fais toujours. Comme je le disais, quand je me lance dans un projet d’écriture, le pari est toujours d’apprendre de ce que j’écris. Je veux être plus riche à la sortie du livre qu’en l’entamant. J’adore faire des recherches. Je suis capable de me renseigner sur l’ensoleillement, l’orientation et la nature du sol nécessaires à faire pousser une fleur que je mentionne dans mon livre ; je suis devenue un as de la botanique !
Ça veut dire que vous avez testé chacun des cocktails que vous décrivez au début de vos chapitres ?
Alors, c’était clairement l’idée, mais les événements récents nous en ont hélas empêchés ! J’aurais voulu profiter de la promo à Paris pour les goûter avec les journalistes, mais ça n’a pas été possible. Finalement, ce livre n’aura servi à rien !
Le jour où votre héroïne s’en va, elle commet l’impardonnable en laissant ses enfants. Et pourtant on la comprend presque, on ressent de l’empathie pour elle. C’est un travail difficile, un équilibre délicat à trouver dans l’écriture. Etiez-vous sûre que les lecteurs allaient ressentir cette empathie ?
Vous touchez précisément au problème que j’ai eu au tout début de l’écriture. Je savais qu’à cause de ça je prenais le risque que Joanne ne soit pas facilement aimable, au sens littéral du terme. Je craignais de jeter en pâture à mes lecteurs une femme qu’ils ne pourraient pas aimer. Mais finalement c’est allé de soi. Parce que c’est une femme fragile, avec ses failles. Je pense qu’on peut se reconnaître en elle.
Est-ce cette crainte de ne pas susciter l’empathie qui vous a poussée à écrire dans vos remerciements que l’on n’avait pas à juger la décision de ces gens qui partent, pour un temps ou pour toujours ?
Oui, j’ai eu besoin d’y revenir. Quand j’écris un livre, je prends la décision d’aller au bout de ce que je dois faire, et je ne le fais relire par personne, je ne fais aucun compromis. J’avais un peu peur qu’on la méprise pour ce qu’elle fait. Il se trouve qu’on pardonne beaucoup moins facilement à une femme qu’à un homme, donc c’était risqué.
Quand vous avez commencé à écrire, est-ce que vous connaissiez la fin ?
En général je ne détermine rien. Je n’ai pas de plan. L’écriture débute avec seulement un thème. Les uns après les autres, les personnages apparaissent, les situations aussi. Mais cette fois, j’avais prévu la fin, parce que je voulais que cette fin dise quelque chose du couple que Joanne forme avec son mari. Une autre chose que j’avais préméditée était la chanson écrite pour elle. Parce que j’adore le rock, et les chansons des années 70. Je me suis souvent demandé comment une femme devenait l’égérie d’une chanson, comme Angie des Stones.
Parlons un peu des hommes. Un de vos personnages masculins dit que la douleur, pour un homme, c’est de ne pas être à la hauteur, de ne pas être à la place d’une femme. Vous avez fait le choix d’entourer votre héroïne de personnages masculins formidables. Pour ne pas créer d’antagonisme ?
Dans tous mes romans, les hommes ont un beau rôle. Ce sont des accompagnateurs. Ce n’est pas une démarche vraiment consciente, mais je trouve qu’ils sont maltraités en ce moment et j’ai envie de les défendre. Les reliques des hommes galants, qui vous ouvrent la porte et vous invitent à dîner, ça me plaît. J’éduque mon fils avec des valeurs fossiles comme la galanterie, l’élégance. Toutes ces choses qu’on dénie aux hommes et qui sont mal perçues aujourd’hui. Je les défends parce que j’apprécie une certaine image de l’homme, peut-être un peu vieillotte, mais que je regrette de voir disparaître.
Est-ce que les hommes vous lisent ? Est-ce que ce livre peut leur parler ?
Oui, il y a des hommes qui me lisent. J’ai des retours de leur part. J’espère que mes personnages masculins leur parlent du fait qu’ils ne sont pas des faire-valoir. Ils ne sont pas moins construits que les personnages féminins. Ils ont un passé, une manière de fonctionner qui leur est propre. En faisant cela, je rends hommage aux hommes à travers mes romans.
Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Calmann Lévy
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