Une vallée, une rivière aux reflets argentés, un barrage surplombé par un viaduc ferroviaire, une centrale électrique. Tel est le décor métallique du roman de Franck Bouysse « Buveurs de...
LirePetites boîtes Yôko Ogawa
Par Dominique de Poucques - 27 février 2023
Voilà un roman singulier, comme peuvent l’être les œuvres japonaises. Dès les premières pages, le ton est donné ; au lecteur alors de déterminer si cette histoire est à classer au rang des farfelues, des surnaturelles, du conte. La vie dans cette communauté s’articule autour de l’école maternelle, désormais vide. La narratrice vit dans ce lieu chargé du passé de dizaines d’enfants aujourd’hui absents. À une époque, ils remplissaient joyeusement leurs classes – poussins, canards et paons – et préparaient avec application le spectacle de fin d’année. Dans ces locaux tout est petit, à l’image des êtres qui les peuplaient. Les objets semblent d’ailleurs rétrécir, et même la narratrice rapetisse au fil du temps, jusqu’à ressembler à un de ces jeunes enfants. On ignore pourquoi les petits ont disparu. Aujourd’hui la vie des adultes tourne autour du souvenir de leurs enfants perdus, sur lequel ils veillent tranquillement. Ils chérissent et maintiennent en vie la mémoire de ces êtres si chers à leur cœur. D’étranges concerts sont organisés, au cours desquels les parents en deuil font jouer dans le vent des instruments minuscules, faits de fragments de leur progéniture, accrochés à leurs lobes d’oreilles. Ces concerts de soi à soi réunissent bon nombre de spectateurs recueillis et bienveillants ne pouvant pourtant capter le moindre son de ces mélodies qui loin d’être tragiques, sont une onde chargée d’amour, ode à la mémoire des disparus, une façon de ressusciter leur voix : « Elle tend l’oreille pour rendre son tympan le plus sensible possible, en éliminant tout ce qui est superflu, pour qu’il reflète l’onde dessinée par une gouttelette ténue. C’est vraiment ainsi qu’elle écoute le timbre de la lyre. Cette voix plus silencieuse encore qu’une respiration, qui a résonné autrefois au fond du corps de ce petit garçon parti vers le lointain en ne laissant derrière lui qu’une côte et quelques cheveux. » Dans l’auditorium de l’école sont exposées des boîtes en verre, dédiées à l’accompagnement des jeunes âmes dans l’au-delà. Ces boîtes sont au service de l’avenir des enfants morts et renferment tout ce qui peut leur plaire ou les rassurer, les objets étant échangés au fil du temps, en fonction de l’âge qu’ils auraient eu : « Les enfants morts continuent à grandir dans le petit jardin à l’intérieur de la boîte. Ils mettent leurs chaussures pour faire leurs premiers pas, ils apprennent les tables de multiplication, et colorient à leur guise les robes de princesses. » Deux autres lieux sont évoqués : le musée d’histoire locale, désaffecté, et la maternité, détruite par les autorités. Comme si le passé s’effaçait peu à peu pour finalement disparaître, ou n’avoir jamais existé. Le présent insolite fait la part belle aux cinq sens – à travers une fragrance de bougie choisie avec soin, des cheveux lissés jusqu’à une douceur extrême, des boîtes transparentes laissant apparaître leur contenu, une musique quasi inaudible, un gâteau d’anniversaire partagé. Les personnages sont loufoques et néanmoins profonds, à l’image de ce monsieur Baryton qui ne peut plus s’exprimer qu’en chantant, cette ancienne coiffeuse et ce dentiste qui construisent pour les concertistes des lyres microscopiques au moyen de cheveux et de fractions de bois : « Selon lui, ce qui compte n’est pas l’essence de l’arbre, mais quelque chose de plus complexe, l’histoire de ce fragment que quelqu’un d’autre ne saurait comprendre. L’endroit de la montagne où l’arbre a grandi, la forme de ses branches. Si une bourrasque les a brisées, ou si le bois a pourri naturellement. La rivière qui l’a apporté, le temps passé dans l’eau. Si les marques qu’il porte sont la trace d’un nid d’oiseaux ou d’une intervention humaine… Le dentiste est capable de lire tous les secrets cachés dans un simple bout de bois. Un jour, il m’avait appris qu’en reliant ces secrets, cela donnait une tonalité tout à fait naturelle, et permettait d’entendre la mélodie des cheveux morts. »
Si la mort est partout dans ce roman, il n’est pas sombre pour autant. Il est empli de douceur et de délicatesse, qualités propres à la maison d’éditions, réussissant à laisser une impression dénuée de pesanteur à l’évocation du deuil et de la mémoire.
208 pages
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