Cœur-d’amande Yasmina Khadra

Par Dominique de Poucques - 09 septembre 2024

Cœur-d’amande est le dernier roman de Yasmina Khadra. C’est également le surnom de son personnage central, en référence à cette pâtisserie traditionnelle algérienne. De son vrai nom Nestor, atteint de nanisme, rejeté par sa mère dès la naissance, délaissé par un père trop faible pour assumer son attachement pourtant réel à ce fils différent, le héros déambule pourtant dans l’existence avec la force des êtres que l’Amour a touchés. Sa grand-mère l’a élevé dans la confiance et l’affection, lui apprenant à ne compter que sur ses propres qualités. Lorsque celle-ci disparait alors qu’il vient de perdre son emploi, son monde s’effondre. Son entourage, de nouvelles rencontres et l’écriture vont lui permettre de se confronter à l’absence et de donner une direction à son parcours. La panoplie de personnages qui l’entourent est truculente : coursiers, barmans, arnaqueurs de petite envergure, … Certains sont plus fins psychologues qu’il n’y parait et beaucoup font preuve de touchantes qualités de cœur. Ils expriment volontiers leur philosophie par ce serment : « On croise les doigts… mais pas les bras. »

Bien sûr, à travers la plume de Khadra le poète, ce mantra se traduit en des envolées de toute beauté : « Je considère l’existence comme une offrande inespérée sous une cloche de verre piégée. »

Sont liés, le thème du deuil et de la mort, quand elle frappe au hasard : « Une misérable jalouse, voilà ce qu’est la Mort. Parce qu’elle ne dure que l’espace d’un soupir, elle en veut à la Vie qui a tant d’histoires à raconter. Elle n’a ni le temps d’aimer, la Mort, ni celui d’espérer, et ne connait rien de ce qui fait battre les cœurs et la cadence des jours. Telle une pestiférée, elle se venge de ce qui l’exclut de nos joies » ; l’absence de sens de cette vie qui ne nous laisse maîtres de rien, si ce n’est de notre manière d’appréhender notre impuissance : « J’ai demandé à Léon pourquoi on vient au monde si c’est pour aimer ce qu’on ne peut préserver. Il m’a répondu qu’on vient au monde pour vivre une histoire et disparaitre avant la fin, que celui qui se charge du casting ne demande l’avis de personne et que s’il attribue les beaux rôles à certains et pas à d’autres, c’est pour des raisons qui ne regardent que lui. » ; l’absurdité de l’humanité qui, par essence « ne peut dissocier ses splendeurs de ses laideurs. »

Si ces thèmes semblent graves, l’ensemble est lumineux, à l’instar de Nestor et ses amis, à l’image de ce conseil prodigué par un sage de fortune : « Laisse-toi sourire à l’enfant que tu as été. »

ENTRETIEN

  • Voilà un livre qui fait du bien, ce qui ne veut pas dire qu’il soit léger. Il y est question d’amour et de solidarité : l’amour d’une grand-mère, et la solidarité entre les « petites gens ». Ce sont de belles choses, dont on parle peu, mais dont on peut rêver.

Je voulais rappeler que notre part d’humanité existe toujours. Si dans les grandes villes on passe à côté sans la voir ou même l’apercevoir, dans certains endroits elle est criarde. Elle fait de grands gestes et crie : « Je suis là ! » J’ai trouvé cette humanité à Barbès. C’est cosmopolite, les gens viennent de tous les horizons, essaient de surmonter la mouise, de se contenter de petits boulots en espérant un jour accéder à quelque chose de plus confortable, de moins humiliant. C’est là que je vais me ressourcer. Quand je commence à perdre espoir concernant la race humaine, je vais dans ces endroits où la stigmatisation protège ces gens, à travers les amalgames et les à priori. Eux vivent en harmonie, avec cohérence. Ils ont compris comment les êtres s’entendent, partagent

  • Au début du récit, Nestor a un côté sombre, désabusé ; Léon est tout le contraire et le pousse à regarder vers la lumière. Puis ça s’inverse, comme par un mouvement de balancier. Votre roman est-il une des forces de ce balancier, votre façon de nous tourner vers la lumière ?

Nestor est par endroits agressif parce qu’il ne supporte plus le regard réducteur posé sur lui. Il se bat pour que les autres le défassent de sa caricature et voient en lui l’être humain à part entière. Ce livre fait du bien car il nous montre ce que nous avons de meilleur en nous et que nous avons tendance à négliger. Il nous aide à retrouver nos repères.

  • Vous dénoncez une société du paraitre, au détriment de l’être. Quand ce processus a-t-il commencé ?

Peut-être depuis la naissance du cinéma et de la télévision. Avant, quelqu’un qui roulait des mécaniques n’était vu que par ceux qui étaient juste à côté de lui. Aujourd’hui la télévision et les réseaux sociaux ont modifié cela. Quiconque vient sur un plateau, qu’il soit intellectuel, philosophe, écrivain, ne vient pas défendre une idée mais une image de lui. La véritable quête est dans l’être, pas dans le paraitre.

  • Vous utilisez l’expression « commettre un bouquin ». On « commet » chacun de ses livres ?

On associe toujours ce verbe à quelque chose de négatif : un crime, une faute. Il s’agit tout simplement de « faire ».

  • Léon dit que Nestor et lui sont « les enfants de la même blessure ». Nestor lui répond :« Je ne vois pas la mienne ». La différence est toujours dans le chef de l’autre ?

Oui, c’est valable pour tout le monde. Et la grand-mère de Nestor lui a appris que la souffrance ne se conçoit que par rapport à celle d’un autre. Elle lui rappelle qu’il a la chance de pouvoir courir et danser quand d’autres ne peuvent pas bouger le petit doigt.

  • « Laisse-toi sourire à l’enfant que tu as été » est le conseil d’un des personnages. Sommes-nous tous capables de nous rappeler quel enfant nous avons été ?

Oui, bien sûr. On pense parfois avoir grandi, mais un vieillard est un enfant qui a pris de l’âge. Il faut lui sourire et garder une part d’innocence – pas de naïveté – et de pureté, qui ne doit pas être viciée par les problèmes, les échecs, les malentendus. Surtout si ceux-ci nous sont extérieurs. Parfois on est preneurs de quelque chose qui ne nous apporte rien, comme lorsqu’on supporte la guerre. La guerre n’apporte rien, elle prend. Il n’y a pas de vainqueurs, mais seulement une partie qui a perdu beaucoup plus que l’autre. C’est tout. C’est notre singularité qui doit transcender le cosmopolitisme néantisant. Lorsque le cosmopolitisme nous dilue, nous fait perdre nos repères, il est dangereux. Des jeunes vont mourir pour un idéal qui n’est pas le leur. Or la plus grande cause est notre propre vie. Mes personnages ont compris la vie car ils ont appris par eux-mêmes. Pas par les médias, les intellectuels ou les charlatans.

Parution : 21 août 2024
313 pages

Retrouvez ce roman aux Mialet-Barrault Éditeurs

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